Vincent Peillon tablait en décembre sur 50 % des élèves. Puis en mars, sur 20 à 35 %. La réalité risque d'être plus cruelle encore pour le ministre de l'Éducation nationale. Les écoliers français qui passeront à la semaine de 4,5 jours dès septembre ne dépasseront pas les 20 à 25 %. Et à peine les 18 % en Picardie, pour l'instant. Réduit comme peau de chagrin, l'élan de réforme des rythmes scolaires tranche avec son but initial : alléger les journées contre-productives des enfants. L'idée faisait consensus il y a six mois encore. L'unanimité a fini par tourner au vinaigre avec les profs, les communes et l'opinion des familles.
Les 1 328 communes de la région avaient (comme ailleurs) jusqu'au 31 mars pour se prononcer. Sur ce total, 249 ne s'étaient pas encore prononcées cette semaine, comme Abbeville qui votera le 3 avril. Pour les autres, 155 ont choisi 2013, contre 924 pour 2014. Sachant que le report devait être dérogatoire, l'exception fera donc la règle. Quant à l'alternative du samedi travaillé, elle reste pourtant l'instant minoritaire. À ce sujet, on retiendra une votation organisée à Creil (Oise) le 22 mars. Sur 1 400 bulletins, 82 % ont retenu le mercredi.
Parmi les plus motivés, on retrouve dans la Somme, Péronne, Poix-de-Picardie, Mers-Le Tréport et sans doute Abbeville ; dans l'Aisne, Hirson ou Bohain-en-Vermandois ; et dans l'Oise, Clermont, ou Creil (en dépit d'une pétition de 1 500 signatures contre). Sur le plateau picard, quelques maires assument, contre la majorité de leurs collègues. « Les études le prouvent, le rythme actuel n'est pas bon pour l'enfant », plaide ainsi Denis Flour, maire de Maignelay-Montigny et enseignant, tandis que Michel Goes, à Wavignies, l'assure : « Cela ne pèsera pas tant que cela sur le budget ».
« On nous impose cette réforme autoritairement, sans concertation préalable. On va dans le vague », écorche à l'inverse Jean-Luc Hermel, le maire de Domart-en-Ponthieu, qui évalue la charge pour sa commune à 40 000 €. À l'instar de Flixecourt, Corbie, Doullens et Saint-Quentin (Aisne), où la réforme coûterait 800 000 €, son maire Xavier Bertrand (UMP) attendra aussi, après avoir consulté les familles : 75 % ont choisi le report. « Comment allons-nous faire, dans nos petites communes, pour trouver des animateurs qualifiés capables de proposer une offre de qualité ? », décrypte Pierre Martin, le président de l'association des maires de la Somme. « Cette réforme a été pensée dans une logique urbaine ».
Mais dans la liste des reports, c'est Amiens qui fait le plus de bruit. Érigée en « laboratoire » du gouvernement habitué à y faire défiler ses ministres, la capitale picarde va temporiser, notamment devant le coût de l'opération « de plusieurs millions d'euros ». Convaincu néanmoins du bienfait de la réforme, le maire Gilles Demailly (PS) affirme vouloir consulter à fond, pour ne pas risquer d'en faire « une demi-réussite ».
Sa décision a fait sortir de ses gonds la FCPE, principale fédération de parents d'élèves, la plus ardente partisane des 4,5 jours. « La Ville a toujours été novatrice dans ce domaine. En tant que président de la commission éducation de l'association des maires de France, (Gilles Demailly) a un devoir d'exemple ».
Le cas de Beauvais est, quant à lui, suivi de près au plus haut niveau. La maire (UMP) Caroline Cayeux envisage de tester la réforme dès 2013, sur deux de ses quartiers aux profils sociaux différents. Souci technique tout de même, l'idée impose de modifier le décret national. Et priverait aussi toute la ville du fonds d'amorçage prévu pour les communes candidates dès septembre. Pas anodin.
Car cette réforme coince beaucoup sur ses incidences budgétaires. Quand les Caisses d'allocations familiales estiment à « plusieurs centaines de millions d'euros » l'impact de la réforme sur ses finances, l'association des maires de France (AMF) estime son coût à « un ou deux points de fiscalité en plus ». Une option suicidaire à un an des municipales. D'autant que les collectivités locales le savent : l'État va leur réduire ses dotations de 4,5 milliards d'euros entre 2013 et 2015.
Signe du malaise en tout cas, Vincent Peillon en vient maintenant à modérer la portée de sa réforme : « Si en 2014, tous les enfants de France sont aux 4,5 jours, c'est un élément de la solution, une base, mais pas LA solution ». Les enseignants apprécieront. « Depuis le début, ce dossier est découpé en tranches et a été l'objet d'un flou constant », résume le SNUIpp, syndicat majoritaire. « Ce devait être une réforme emblématique de la refondation. Elle se révèle être une immense déception »
GAËL RIVALLAIN
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LA SOMME PLAIDE LE MERCREDI Inquiet pour son budget transport scolaire (40 millions d'euros), le président du conseil général a écrit aux maires afin qu'ils optent pour le mercredi. Car « nous ne pourrons pas supporter la charge financière qu'induirait la création de nouveaux services le samedi ».RAPPEL DES FAITS LE PRIVÉ PAS OBLIGÉ Le ministère n'oblige pas le privé, mais « l'incite fortement ». En Picardie, ses 17 000 élèves passeront aux 4,5 jours en 2014. « Mais sans doute pas de manière uniforme », note la direction diocésaine (Somme), qui n'exclut pas une participation financière des familles.A LIRE EGALEMENT
La réforme répartit les 24 heures de classe hebdomadaires sur de 4,5 jours (au lieu de 4), dont le mercredi matin ou le samedi (dérogation).La journée est de 5 h 30 maxi, soit 45 minutes de moins en moyenne, remplacées par des activités péri-éducatives, non-obligatoires. Soit 3 heures par semaine à la charge des collectivités locales. Les élèves sont pris en charge à l'école jusqu'à 16 h 30. La pause du midi est d'au moins 1 h 30.
« Un fonds d'amorçage » de 250 millions d'euros est prévu par l'État, pour les communes qui se lancent dès 2013. Soit 50 € par élève, voire 90 € dans les zones de solidarité urbaine et rurales, où un prolongement de 45€ sera prévu en 2014.
La refonte des vacances scolaires (à raccourcir ?), étape suivante de la réforme, n'est pas envisagée avant 2015.
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« Depuis le début, ce dossier est découpé en tranches et a été l'objet d'un flou constant »Syndicat enseignant SNUIpp
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LES VILLES DIVISÉES Aucune grande ville de droite n'a opté pour 2013. Et celles de gauche sont divisées. Rouen, Nantes, Dijon ou Paris appliqueront dès septembre. Mais Reims, Lille ou Lyon différeront à 2014. Sur les 51 plus grandes villes, celles optant pour l'an prochain sont majoritaires.[LE-CHIFFRE]LE CHIFFRE[GRAS-CH] 18,25[/GRAS-CH][GRAS-CH] % [GRAS-CH]des élèves[/GRAS-CH] [TEXTE-CH]de Picardie passeront aux 4,5 jours dès septembre. Pour l'instant, 155 communes optent [/TEXTE-CH][TEXTE-CH]pour 2013 et 924 [/TEXTE-CH][TEXTE-CH]pour 2014 (249 non décidées).[/TEXTE-CH][LA-PHRASE]LA PHRASE
[TEXTE-PH]« Le décret est sorti objectivement un peu tard pour la rentrée (...) J'appelle à la sérénité. Ce décret dit 2013 ou 2014. On ne va donc pas stigmatiser ceux qui choisissent 2014 »
[SIGNATURE-PH]Vincent Peillon, ministre de l'Éducation nationale[/SIGNATURE-PH]
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3 QUESTIONS À Le choix majoritaire pour 2014 ne traduit-il pas une réforme mal préparée ? Nous avons renseigné tous les maires. Reporter les délais sera inopérant. Car même pour 2014, leurs décisions devront être prises avant les élections municipales. J'entends qu'ils aient besoin de temps, mais on surdimensionne les difficultés. Une aide financière est prévue. La plupart des communes ne partent pas de zéro. Elles ont un accueil périscolaire. Et des réponses en terme de transport dans les syndicats de communes.N'est-ce pas là une réforme pensée pour les villes ? C'est le système actuel qui est inégal. L'Éducation nationale va mieux s'approprier le périscolaire, pour en compenser les inégalités. En ruralité, il ne s'agira pas de multiplier les déplacements. Des solutions y existent, comme le recours aux associations subventionnées. La réforme a ceci d'intéressant qu'elle laisse de la souplesse pour l'organisation de la journée dans les territoires.
Justement, l'Éducation ne va-t-il pas y perdre de son côté national ? L'école, c'est l'unité, pas l'uniformisation. L'enfant d'aujourd'hui doit être éduqué différemment de ses parents. Élus et enseignants ont ici l'occasion de se saisir d'une réforme qui permet la prise en compte des spécificités. Dans beaucoup de communes qui se lancent dès 2013, on voit que l'école n'est pas qu'un enjeu de moyens ou d'immobilier. Oui, la réforme est compliquée. La première année sera expérimentale. Mais l'action vient en marchant. Au fond, je pense que tout le monde est d'accord sur son principe qui va dans l'intérêt de l'enfant. Et que si certains veulent refaire de la concertation, son temps a déjà eu lieu.
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« Le ministre a confondu vitesse et précipitation. Comme je ne me voyais pas créer une usine à gaz, ni dire aux parents : À 15 h 30, débrouillez-vous », Paul Pilot, le maire (Front de Gauche) de Nesle (Somme), l'a décidé : « le mieux c'est de reporter en 2014 », et d'opter pour le mercredi. L'intervalle permettra ainsi de mener une étude, pour aboutir « à une large adhésion et proposer du périscolaire de qualité ».Car à Nesle (300 enfants), comme ailleurs en secteur rural, la réforme pèsera sur le budget, même si le maire ne l'a pas chiffré. « Notre animateur sportif est déjà débordé. Recruter sera le plus coûteux », redoute-t-il. Entre autres. « Devra-t-on doubler l'espace du centre de loisirs ? Combien d'enfants resteront après la classe ? Pourra-t-on s'appuyer sur les associations ? Comme je ne veux pas augmenter les impôts, faudrait-il une participation des familles, même la plus minime ? »
Du côté des parents, aussi, on s'interroge. « Je préfère le samedi. Mon fils au collège va en cours le mercredi. Arrivé en fin de semaine, la fatigue se fait sentir », constate Christiane Auzou, venue attendre la sortie de son petit-fils en CM1. Cette fatigue, Yohan Galioot l'observe également chez ses filles : « Il faut une autre organisation pour eux. Mais les parents comptent aussi. Comment fera-t-on pour le travail ? Et puis on s'était habitué aux quatre jours. Est-ce que ça changera ainsi à chaque quinquennat ? »
Quant aux profs, c'est carrément la déception. Consultés, ils avaient plaidé pour 2013 et le samedi. Tout l'inverse du choix du maire. « Quant il y avait classe le samedi, les enfants n'arrivaient pas fatigués de leur week-end », argumentent deux enseignantes de l'élémentaire, par ailleurs perplexes : « Si le périscolaire doit se passer dans l'école, les enfants y passeront donc 7 ou 8 heures au total. Comme aujourd'hui ».
Un socle pas très commun
COMMENTAIRE 2013, 2014, mercredi, samedi. À laisser le choix, pour déminer une réforme aussi courageuse que mal négociée, Hollande et Peillon lanceront une rentrée de septembre bigarrée. Exit le large consensus formé sur les journées trop longues des enfants. Le ministre essuie maintenant les zéros pointés, notamment d'une droite pourtant à l'origine, en 2008, de la semaine des quatre jours. L'école à double vitesse que proposera le ministre aura au moins cet avantage : la comparaison permettra, en test grandeur nature, de valider le bien fondé de ce (presque) nouveau rythme.G.R